Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
correspondant de presse photos et videos

Articles de presse écrits par Rémy Peignard, photos diverses de paysages de Bretagne et d'ailleurs, vidéos, sélection d'articles parus dans des journaux et magazines. Revue de presse.remy.peignard@orange.fr

Après eux, le grand phare sera seul en mer

Jean-Philippe Rocher (casquette) et Guy Cajean, en haut du phare de l'île Vierge où on accède par un escalier aux murs carrelés d'opaline. Pour eux, il n'y aura jamais de relève: la lanterne continuera à fonctionner toute seule. : Thierry Creux
Jean-Philippe Rocher (casquette) et Guy Cajean, en haut du phare de l'île Vierge où on accède par un escalier aux murs carrelés d'opaline. Pour eux, il n'y aura jamais de relève: la lanterne continuera à fonctionner toute seule. : Thierry Creux

Toc ! Toc ! Il y a quelqu'un ? Oui, pour quelques jours encore. Le 29 octobre, les quatre gardiens du phare finistérien de l'Île Vierge feront leur sac. Ils ne seront pas relevés. Ce n'est pas rien. Avec Cordouan en Gironde, l'Île Vierge est le dernier phare habité en mer. Feu les hommes à bord du grand feu...

Le son feutré des semelles sur les marches grises. Il y en a 365, autant que de jours dans une année. Jean-Philippe Rocher et Guy Cajean, savent, sans se retourner dans l'escalier, de quel mal haletant souffre le visiteur qui progresse sur leurs talons : « En montant, c'est la respiration. En descendant, c'est les genoux ».

 

Les deux gardiens ont du métier, du jarret. Tempo fringuant, fière allure, palpitant réglé comme une horloge de marine, ils montent dans leur usine à lumière. Ils montent souvent ? « C'est variable. On peut aller en haut six fois dans la même journée comme deux fois la semaine ». Bientôt, ils ne monteront plus.

Le vendredi 29 octobre, Jean-Philippe fermera à double tour la lourde porte de bois, tout en bas. Il en plaisante : « Qu'est ce que je ferai de la clé ? Je la jette dans le port ? Je la glisse sous ma casquette ? » Ça se passera à 10 h pétantes. La marée commande en ces lieux de grand marnage. Ils embarqueront à bord du Zodiac de service ce qu'ils ont entreposé dans leurs armoires : des affaires impeccablement pliées, les souvenirs, des magazines de mots fléchés, le sentiment du travail bien fait. Ils s'en iront, sans rancune, sans surprise, sans gaieté de coeur non plus : « Pour nous, il n'y aura jamais de relève ».

Jean-Philippe rejoindra le phare du Créac'h à Ouessant. Et Guy, le centre d'exploitation de Concarneau. D'un côté ce n'est pas plus mal, ils se rapprochent de chez eux: Jean-Philippe vit sur l'île Molène, son île. Et Guy, capiste de Plogoff, au phare d'Eckmühl, dans le pays bigouden : « Dans ma commune, on dit que je suis haut placé ».

Ainsi prend fin la présence humaine sur l'Île Vierge, l'un des derniers phares habités de pleine mer des côtes de France. C'était, avec Cordouan en Aquitaine, l'ultime lanterne du large à être servie par des hommes. Les quatre derniers mohicans mettent sac à terre, rejetons d'une longue lignée d'éclaireurs de nuits dont les dynasties sont sorties de l'archipel des îles du Ponant et de la pointe du Raz.

La connaissance des confins battus par la mer, ça aide à vivre cette vie « de marin immobile. Un phare ça se surveille avec un système de quarts, comme sur un bateau. On passe quinze jours à bord et une semaine à terre. Ici, il y a toujours un homme debout, une paire d'yeux ouverts ».

« Qu'est-ce que je ferai de la clef ? »

Les hommes de ce phare majestueux qui troue le ciel à 82,50 m, ont profité du luxe unique de l'île : 7 hectares que l'on admire depuis le balcon haut perché, sept hectares d'herbe rase trouée d'une mare d'eau douce : « Vous voyez on a notre golf et notre piscine ». Ça les a beaucoup changés de leurs anciens phares de haute mer ourlés de solitude reine : « À Kéréon, le tour du phare fait quarante et un pas. Tu fais des joggings de quarante et un pas ».

Ici, il y a l'espace, juste de quoi ne pas vivre l'un sur l'autre, la possibilité de prendre un peu de champ. Et puis, leur logement est installé dans l'ancien phare, plus petit, plus habitable : « Entre les deux gardiens, ça peut mal se passer, jusqu'à la rupture, la mutation. Nous, on ne s'est jamais engueulés ». Une vie de gardien de phare est bâtie sur l'alternance des veilles, des nuits, des siestes, des repas. Des pannes aussi : « Si ça pète là-haut, on a vingt minutes pour se dépatouiller. L'un reste en bas pour relancer les groupes, l'autre bricole là-haut. On se parle par interphone ».

Ces jours-là, on monte plus vite que d'habitude le long du grand fût appareillé en pierre de Kersanton. On ne prend pas le temps d'admirer le puits vertigineux carrelé en opaline : « Il y a 2 500 carreaux posés sur 900 m2. À 70 € pièce, ça fait un million d'euros en carrelage ».

La nuit, on dort ou on veille. Celui qui est debout regarde la télé d'un oeil et le ballet incessant de la lumière de l'autre. Celui qui dort fera la cuisine au réveil. Le vendredi est le jour de la relève et celui où l'on passe un coup de chiffon sur la lentille de cristal qui enchâsse l'ampoule de 260 watts. Le vendredi, l'homme de relève qui arrive apporte du pain frais et la viande pour la semaine. Les dimanches sont des dimanches. Noël ? « C'est spécial un peu. Avant, quand tous les phares étaient habités, ils s'appelaient au réveillon. Ça parlait, ça chantait à la radio cette nuit-là ».

Il n'y aura plus de Noëls causeurs sur radio solitude. Au réveillon prochain, il restera juste une statue d'homme. Au rez-de-chaussée, trône le sévère buste en bronze du directeur des Phares et Balises de 1896, moustachu, très IIIe République. Que Jean-Philippe et Guy saluent d'un fraternel « Bonjour Alphonse » quand ils passent devant. Un gardien de phare est toujours un peu malicieux.

François SIMON.
Ouest-France
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article