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correspondant de presse photos et videos

Articles de presse écrits par Rémy Peignard, photos diverses de paysages de Bretagne et d'ailleurs, vidéos, sélection d'articles parus dans des journaux et magazines. Revue de presse.remy.peignard@orange.fr

Gildas Chasseboeuf et Emmanuel Lepage à Tchernobyl

Résistances graphiques
Quand les artistes ruent dans les brancards

Les Fleurs de Tchernobyl

Deux membres de l’association Les Dessin’acteurs, Emmanuel Lepage et Gildas Chasseboeuf, ont été envoyés à Tchernobyl du 25 avril au 12 mai 2008 afin de retranscrire la vie aux alentours du site tristement célèbre. Les Fleurs de Tchernobyl est le fruit de ce séjour à haut risque, un carnet de voyage glaçant et touchant à la fois. Emmanuel Lepage revient pour nous sur cette expérience qui l’a profondément marqué.


D’où est venue l’idée du livre des Fleurs de Tchernobyl ?
Emmanuel Lepage : Je fais partie d’une association qui s’appelle les Dessin’acteurs, qui propose à des dessinateurs de faire des livres engagés voire militants. Lidwine (NDLR : lui aussi dessinateur de bande dessinée), le président, a rencontré deux comédiens, Pascal et Morgan, qui avaient fait un spectacle sur Tchernobyl. Ils ont eu l’idée de monter une résidence d’artiste à proximité de la zone interdite. Lidwine nous a proposé à Gildas et à moi d’y aller pendant quinze jours pour réaliser un carnet de voyage.

Comment avez-vous reçu cette demande ?
E.L. : D’emblée, Gildas et moi étions enthousiastes, nous avons dit oui tout de suite. C’est après que nous avons commencé à gamberger. Pourquoi avions-nous besoin de nous confronter au danger en dessinant ? Je pense que le voyage a commencé à partir du moment où nous avons accepté. Tchernobyl ne laisse jamais indifférent, les discussions en famille ont été assez dures, on me reprochait de ne pas penser à mes enfants. Et avec Gildas, nous avons évoqué la possibilité de développer un cancer dans les années qui suivent. J’ai eu assez vite le sentiment que c’était un voyage vers la mort.

L’ouverture du livre est très sombre, vous commencez par visiter le site de Tchernobyl. Ensuite, on passe aux portraits des gens de la région. Pourquoi ce découpage ? Correspond-il au déroulement chronologique de votre séjour ?
E.L. : Nous avons voulu commencer le livre de la façon dont nous avons vécu les choses. Dès le lendemain de notre arrivée, nous sommes partis dans la zone interdite, la tête pleine de fantasmes et avec un temps de chien pour parfaire le tableau. Ce fut une vraie claque. Ensuite, nous sommes passés par les villages abandonnés, puis nous avons rencontré des habitants. Nous souhaitions montrer qu’il y avait une vie qui s’organisait autour de la catastrophe, avec des gens, comme partout, qui s’aiment, se chamaillent, boivent et font ce qu’ils peuvent pour vivre même s’ils sont très proches d’une zone contaminée.

On trouve dans le livre des portraits touchant de ces gens-là. Est-ce que ces rencontres vous ont marqué ?
E.L. : Ce qui m’a marqué c’est leur capacité d’oubli. Avant de venir à Tchernobyl, on imagine des personnes écrasées par la maladie, par le deuil, la mort, des gens qui vivent comme des zombies. Mais on ne peut pas vivre en permanence avec l’idée qu’on évolue dans une zone contaminée. Nous avions des masques, des gants, notre propre nourriture, et malgré cela, nous-même, nous nous sommes oubliés. C’est ce que je raconte dans le livre, au moment où Gildas et un ami français s’allongent au bord d’un étang pour pique-niquer. Le cadre est magnifique, il fait beau, mais l’herbe est contaminée à 25 à 30 fois la dose normale. Pascal a dû les rappeler à la réalité, ils se sont levés immédiatement. Ce qui m’a étonné aussi c’est que, pour les gamins qui n’ont pas le droit de rentrer dans la zone interdite jusqu’à leurs 18 ans, y pénétrer est un rite initiatique. Ils affrontent la mort, un peu comme dans les romans adolescents. Cette zone nous renvoie à nos propres peurs, nos propres angoisses, c’est pour ça que je pense que Tchernobyl représente la mort. Mais ce qui est étrange, c’est que cette mort a un visage très beau. C’est terrible de dire ça, mais c’est un endroit très beau parce qu’il n’y a plus d’activité humaine. Et ce qui est extrêmement troublant, c’est que nos sens ne nous disent rien du réel : les compteurs que nous avions dans la poche grésillaient en permanence, nous savions que le danger était là, mais il n’était pas visible, et ce qu’on voyait était magnifique. C’est une des raisons pour lesquelles nous avons utilisé un oxymore (réunion de deux mots au sens opposé) pour le titre du livre.

Ce voyage semble vous avoir impressionné très profondément !
E.L. : Parce qu’on nous l’avait demandé, le livre a été réalisé rapidement, dans la continuité du voyage. Mais, de toute façon, il continue à se propager en moi, et en Gildas sûrement aussi. Il a commencé avant qu’on parte et il continue après. Mais ça se situe au-delà du côté militant anti-nucléaire. Tout militantisme est balayé quand on arrive là-bas et laisse place à autre chose. Le fim Stalker de Tarkovsky, réalisé en 1979 bien avant la catastrophe de Tchernobyl, raconte une histoire de zone interdite où trois personnes se rendent. On sent qu’il y a un danger, mais on ne sait pas ce que c’est. Cette zone est l’objet de tous leurs fantasmes, ils pensent que tous leurs rêves vont se réaliser en allant là-bas, et en même temps, il y a ce danger impalpable. Ce film est très troublant, je l’ai vu après mon voyage à Tchernobyl, et j’y ai retrouvé énormément de points communs avec ce que j’ai pu ressentir quand j’étais dans la zone interdite. Il est très possible que cette expérience ressorte d’une façon ou d’une autre, peut-être sous forme d’une fiction, je ne sais pas encore exactement.

Comment vous êtes-vous partagé la tâche avec Gildas Chasseboeuf ?
E.L. : On ne dessinait pas forcément tout ensemble, parfois Gildas allait dans la zone et moi je restais dans le village avec les habitants. Je suis plus à l’aise pour dessiner les gens, donc naturellement c’est moi qui faisais les portraits. D’un autre côté, dessiner certains animaux ne me branchait pas trop, heureusement ça plaisait à Gildas. Quand nous sommes rentrés en France, nous avons sorti tous nos documents et avons fait une sélection de manière à ce que le résultat ne soit pas trop redondant et qu’il y ait autant de dessins de l’un et de l’autre.

La question rituelle : Emmanuel Lepage, êtes-vous un dessinateur engagé ?
E.L. : (long silence) Je ne sais pas ! (re-long silence) Je ne suis pas un dessinateur militant. (re-re-long silence) Non, je ne peux pas répondre à votre question, je ne me définis pas comme ça. La forme d’engagement, c’est peut-être de s’y rendre et de mettre sa vie en danger en y allant. Mais ce que j’apprécie avant tout, c’est d’approcher la complexité du monde et je pense que dans ce voyage à Tchernobyl, je ramène autre chose que ce que je pouvais imaginer ramener avant mon départ.

 

Les Fleurs de Tchernobyl, textes et dessins : Gildas Chasseboeuf et Emmanuel Lepage, association Les Dessin’acteurs, 12 euros (+ 3 euros de frais de port).

Le livre est vendu uniquement par correspondance sur le site des Dessin’acteurs

Propos recueillis par Laurent Assuid


: Dessin de Gildas Chasseboeuf.

« Nous étions sept dans le minibus, raconte Gilles Chasseboeuf. Une atmosphère oppressante y régnait en approchant de la centrale que nous apercevions déjà depuis un moment. La gravité pouvait se lire sur tous les visages. Lorsque nous sommes arrivés, le chauffeur nous a demandé de refermer la portière derrière nous. 'Pas plus de 10 minutes', nous a lancé le guide. Le 26 avril 1986, j'apprenais la catastrophe à la radio dans ma cuisine. Vingt-deux ans après, me voilà sur les lieux avec, devant moi, la centrale de Tchernobyl. J'essayais de me concentrer sur mon dessin, mais c'était stressant d'entendre le crépitement du dosimètre qui te rappelle ce danger permanent, invisible. J'ai ressenti à ce moment des émotions tellement fortes et intenses que j'ai encore du mal à en parler. »

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